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L'auteur raconte l'histoire des dix premières années de sa vie de petite fille née dans une famille ouvrière en 1934. Son père, palefrenier des Haras nationaux, partait chaque année pendant quatre mois avec sa femme et ses enfants à travers la Normandie pour y faire perpétuer la race chevaline. Elle parle de tous ces déménagements, des nombreuses écoles qu'elle a fréquentées et où elle était toujours la mal venue, de ces merveilleuses vacances chez ses grands-parents du hameau, des gens du village, de Saint-Lô : sa ville natale. Elle raconte l'Occupation allemande aussi, les restrictions et les bombardements qu'elle a subi à Valognes, sa fuite en exode sous la mitraille, le débarquement, la "galère" de ses parents partis à la recherche de sa soeur perdue dans la tourmente et qui découvrent leur ville en ruines, leur maison réduite à un tas de pierres. Puis viennent les retrouvailles, le retour au bercail. Elle évoque alors leur nouvelle vie, ses joies, ses peines, la perte d'un petit compagnon, parle avec tendresse de son grand-père. Sans oublier de nous détailler les coutumes normandes en vigueur dans les années 30 et 40, le travail des employés de ferme, celui des bonnes à tout faire, le mariage, les enfants, la mort et les petits métiers des rues aujourd'hui pratiquement tous disparus.

Qu’ils se prénomment Léon, Pierre ou Irène, tous les personnages de ce beau livre sont autant de battements d’un cœur qui vibre pour le terroir normand : un univers sans concession, avec ses personnages hauts en couleurs. Si le lecture s'amuse de ces histoires de villages, il presse la vérité profonde qu'elles dégagent dans leur simplicité. La rouerie de Lucien, le monde chimérique de Raphaël, le démon de midi qui tenaille ce petit boutiquier frustré par la tyrannie de sa mère, nous avons tous connu un jour ou l'autre des personnages qui leur ressemblent. Même si cette Normandie semble étouffée aujourd'hui par le monde moderne, elle survit justement toujours dans quelques coins de la campagne, préservée dans toute sa saveur.

En quarante-cinq ans la France a été totalement transformée. Le pays s'est urbanisé, la société rurale s'est effondrée, les paysans sont devenus des entrepreneurs, les écolos sont apparus dans le paysage, l'église a perdu ses fidèles, les maisons du village sont devenues des résidences secondaires. L'auteur de ce livre, né dans la presqu'île du Cotentin, bout du monde, bout de France, évoque les sensations de l'enfance rurale, la société ancienne en train de basculer dans la modernité. Il ne s'agit pas de mémoires mais plutôt d'une promenade par thèmes (la vie, la mort, la ferme, le labeur, l'école, le sexe, la nature, les animaux, les vieux, les pauvres, la religion, les rêves, etc.) à travers la vie d'une famille, dans ce que fut le monde des années 50-60. Jacques Rouil évoque l'éveil à la conscience d'un petit saute-ruisseau, son univers mental, la proximité de la nature, si difficile à explique aujourd'hui à nos enfants urbanisés, la prégnance de la ferme, la psychologie de grands-mères nées au début du XXe siècle, l'extraordinaire impact de la télévision, du téléphone et des objets de la société moderne. L'auteur analyse, explique, mais son texte est truffé d'histoires et de portraits de ces petites gens qui faisaient la vie rurale. Le Cotentin, bien sûr est présent à chaque page. L'auteur en décrit l'ambiance, le vent, la pluie, les haies, les petits chemins tortueux, le bord de mer.